En juin prochain, le philosophe Ollivier Pourriol sera de passage à 360 Possibles pour partager ses réjouissantes réflexions sur la facilité. Dans un essai paru en 2018, il fait l’éloge de cet art, qui consiste à doser intelligemment son effort pour “réussir sans forcer”.

Comment votre discours est-il reçu en entreprise, lorsque vous dites à votre public que l’effort est souvent contre-productif ?

Très bien, et c’est étonnant. Entre ce qu’on nous a enseigné officiellement – on loue toujours l’effort, le mérite par les petits pas – et la réalité de la pratique de beaucoup de gens, à tous les niveaux de responsabilité d’ailleurs, il y a un grand décalage. Je me suis rendu compte que mon propos décomplexait et permettait à des dirigeants d’avouer que, pour faire face à une difficulté, ils vont se balader, se reposer, écouter de la musique, voir un film; qu’ils se changent les idées, en fait, et qu’ils font confiance au temps.

Le mythe du travail acharné en prend un coup ! Vous déboulonnez une autre idée bien tenace, celle de LA grande décision qui change tout. C’est pourtant un enjeu très présent dans le monde du travail aujourd’hui: tout recommencer, se créer un projet sur mesure, changer radicalement de voie…

Faire table rase, pourquoi pas ? Surtout si cette envie naît d’un réveil. On peut bien sûr changer de vie à tout âge. Ce qui est important, c’est l’outil de ce changement. Alain dit que le vrai changement, ce n’est pas de tout chambouler, mais de continuer, en mieux. Donc faites confiance à ce que vous faites déjà.

Et quand on ne sait plus où on en est ? Vous citez Descartes pour conseiller de “choisir une direction au hasard plutôt que de tourner en rond ou de rester sur place”. Avancer sans réfléchir, vraiment ?

La logique cartésienne nous dit que, pour qu’une action soit efficace, il ne faut pas s’épuiser par avance à penser à tout. C’est d’ailleurs impossible d’envisager toutes les possibilités. Évidemment, il ne s’agit pas non plus de faire n’importe quoi. Ce dont je parle dans le livre, c’est de la décision d’action. La plus grande difficulté, on le sait, c’est toujours de se lancer. Il est finalement plus simple de penser au fil de l’action. Dans bien des domaines, c’est l’action qui permet de prendre les bonnes décisions. C’est par exemple le cas du pilote de bateau qui va déterminer son cap alors qu’il est déjà en train de sortir du port. Ou l’histoire des galeries Lafayette, qui ne commence pas par un business plan.

“Certains buts ne peuvent être atteints qu’indirectement”, vous le répétez dans plusieurs chapitres… Pourtant, les entreprises raffolent d’objectifs en tous genres. Qu’en pensez-vous ?

Le mot recouvre des réalités différentes. Moi, je parle d’objectifs impossibles à quantifier parce qu’ils ne relèvent pas d’une question mécanique. Les exemples que je prends ne sont pas économiques. Convaincre quelqu’un, c’est un art humain; il va falloir émettre des signes, les décoder, s’intéresser à l’autre… Il va falloir produire de la compréhension, en fait. Dans ce genre de cas, on va mobiliser des outils comme la ruse, la patience. Tout ne fonctionne pas sur une logique de cause à effet.

Ne pas s’acharner sur la difficulté, cesser de rechercher la perfection, envisager l’attention comme une vague sur laquelle surfer… Ces conseils que vous donnez à vos auditeurs entraînent-ils des changements dans leurs entreprises ?

Ça, je ne sais pas. Mais ça leur permet au moins de partir d’une situation vraie plutôt que de ce qu’ils aimeraient être.

C’est ça, pour vous, le naturel ? 

Le vrai naturel, c’est une vertu et c’est aussi une conquête. C’est quand on n’a pas besoin de cacher ce qu’on pense, ni d’être excessif dans l’expression de ce qu’on pense. On agit en conformité avec ses valeurs, sans contradiction interne, et donc sans souffrance. Malheureusement, la réalité de l’école, de l’entreprise, c’est plutôt l’inverse.

Facile. L’art français de réussir sans forcer, 2018, Michel Lafon, 256p.