En se lançant dans un travail de recherche et de prospective sur les déchets plastiques, Mathilde Berder ne s’attendait pas à produire un rapport d’expertise aussi alarmiste. Cette ancienne étudiante de SciencesPo Rennes, aujourd’hui chargée de mission en mobilités douces, présentera les principaux enseignements de son travail le 12 juin, lors d’une table ronde consacrée à l’avenir de l’océan.

Quand on parle de déchets plastiques et d’océan, l’image du 7è continent vient à l’esprit… C’est une bonne illustration du problème ?

Le 7è continent, seuls 20% des Français savent à peu près de quoi il s’agit. Et, dans ces 20%, beaucoup de personnes imaginent une plaque solide de macrodéchets, alors qu’on parle de microparticules… qu’on trouve en plus dans tous les océans ! Donc, quand on pense au 7è continent, il faudrait aussi avoir à l’esprit qu’il y en a un 8è, un 9è, un 10è, etc.

Aujourd’hui, un jeune Hollandais prétend pouvoir nettoyer la moitié du Pacifique nord avec son système de barrière flottante. Sa démarche séduit beaucoup, mais son système fait l’impasse sur les micro et les nanodéchets, qui ne restent pas en surface et qu’on retrouve dans toute la colonne d’eau ! Au lieu de chercher à résorber le problème, on devrait commencer par fermer le robinet en s’attaquant à la production et à la consommation de plastique.

D’où viennent-ils, ces débris plastiques qu’on retrouve dans l’océan ?

On peut facilement s’imaginer qu’ils viennent de déchets jetés dans la nature, mais on a plus de mal à réaliser que le recyclage n’est pas aussi fiable qu’on le pense et qu’ils viennent donc aussi de nos poubelles, malgré nos comportements vertueux. Il y a des pertes énormes tout au long de la chaîne de recyclage, entre les déchets qui partent vers des décharges pour être ensuite enfouis parce qu’on n’a pas les moyens de les recycler, ou ceux qui quittent l’Europe. Jusqu’à il y a peu, l’UE exportait 50% de ses déchets plastiques triés vers la Chine ! On imagine bien le risque qu’ils finissent dans l’océan….

Avec quelles conséquences ?

J’ai été particulièrement choquée par deux données. D’abord le fait qu’on retrouve des microplastiques dans des endroits très reculés, où il n’y a même pas de vie humaine, comme sur cette île perdue dans le Pacifique ! Et puis, j’ai pris conscience – mais tardivement – de l’existence des nanoparticules, qui se répandent partout et qu’on n’a aucun moyen de détecter. Aujourd’hui, la science n’est pas assez avancée pour mesurer leur concentration, ni pour évaluer précisément leur impact sur notre santé. On nous dit qu’elles ne traversent pas la chair du poisson qu’on mange, mais rien n’est moins sûr.

Dans votre rapport, vous vous êtes aussi projetée en 2030 et 2050. Qu’est-ce que vous retenez de ce travail prospectif ?

À partir de calculs simples, j’ai esquissé différents scénarios. Et le scénario catastrophe, on y est déjà ! Je me suis rendu compte que, même si tous les pays prenaient un engagement fort, en réduisant de 50% la quantité de déchets rejetés dans l’océan, on resterait sur des quantités énormes de plastique. Même en faisant des efforts importants, on ne ferait que ralentir le problème ! Et ça, c’est difficile à entendre parce que, quand on cherche des solutions, on veut en voir les résultats rapidement. Or, là, on ne peut pas se dire que, dans 50 ans, tout sera réglé…

Comment agir malgré tout, par exemple au niveau d’une entreprise ?

Le b.a.-ba, c’est bien sûr le tri. Et il faut expliquer la démarche, en utilisant une communication adaptée pour faire respecter les consignes. Il ne s’agit pas de juste mettre des poubelles différentes à disposition des salarié·e·s. Supprimer les bouteilles en plastique, les gobelets, proposer des cafetières et des mugs, des carafes d’eau… Tous ces objets à usage unique seront bientôt interdits, alors autant le faire dès maintenant ! Pourquoi ne pas offrir une gourde à chaque salarié·e ? Les entreprises peuvent aussi se questionner sur leurs approvisionnements, voir auprès de leurs fournisseurs comment supprimer les emballages individuels.

C’est sûr, ce n’est pas facile de changer ses habitudes. Mais il faut vraiment prendre celle de se demander comment utiliser moins de plastique. Si toutes les entreprises d’un territoire se mettent à le faire, l’impact peut être énorme !