Olivier Ridoux est professeur d’informatique à l’Université Rennes 1 et chercheur à l’IRISA. Préoccupé “depuis longtemps” par la question de l’impact environnemental du numérique, il interviendra sur ce sujet dans une table ronde organisée le 14 juin, à 360 Possibles. Et il aura fort à faire pour détricoter des idées reçues bien ancrées. Aperçu en quatre méprises courantes.

L’empreinte environnementale du numérique, c’est dérisoire par rapport à d’autres secteurs….

Ça dépend comment on compte. Si on considère la consommation d’énergie, d’eau, la production de gaz à effet de serre, la perte de biodiversité, on est bien sûr loin derrière l’agriculture. Mais on est à part égale avec le transport aérien, qui est de plus en plus montré du doigt; on le dépasse même.

ll faut aussi avoir en tête que l’informatique utilise des ressources très spécifiques, en exerçant une pression très forte, par exemple sur les terres rares ou sur les matériaux qui servent à fabriquer des batteries, comme le cadmium. Certaines ressources, comme l’indium, qui est utilisé dans les écrans, vont disparaître dans quelques années.

Or, ce qu’on voit se développer, ce sont des usages concurrents de ces ressources, par des domaines d’activité en pleine expansion: l’électronique bien sûr, mais aussi les énergies renouvelables. En matière de transition écologique, on pense éoliennes, voitures électriques… en oubliant que ces équipements sont bien plus grands qu’un smartphone. Une éolienne, ça a une batterie énorme !

Quand même, en matière de transition écologique, le numérique est davantage solution que problème. Pensez à la dématérialisation !

Là, c’est carrément une illusion. La dématérialisation, c’est plaisant à imaginer pour la philosophie ou le marketing, mais ça se traduit surtout par une autre forme de matérialisation. On connaît très bien l’évolution de la consommation de pâte à papier : ces dernières années, elle a été multipliée par plus de 10 en France ! Elle est aujourd’hui aggravée par l’amplification des échanges facilités par le numérique, comme le commerce en ligne. Il y a aussi le problème des imprimantes individuelles : on utilise une ramette de papier à la maison et on se dit que ce n’est pas grand chose. C’est ce qu’on appelle l’“effet rebond” : tout devient plus simple et individuellement moins impactant, et on finit par le faire plus massivement.

En fait, vous voulez nous faire revenir à l’âge de pierre ?

J’entends souvent ces réponses, non réfléchies, qui traduisent vraiment un manque d’imagination. Il y a une forme de sobriété à imaginer, qui ne consisterait pas à “revenir à la bougie”. Pour cela, il faudrait revoir nos habitudes néfastes, comme celle qui consiste à stocker tant qu’il y a de la mémoire, sans s’interroger. Peut-être qu’on pourrait sauvegarder nos photos dans les mêmes proportions qu’autrefois, quand elles étaient imprimées sur papier ?

Quant au développement des achats en ligne, il nous pousse à commander des produits à l’autre bout du monde. Et des géants comme Amazon dépensent une énergie folle pour que les livraisons se fassent le plus vite possible. L’impact est énorme ! Peut-être qu’on pourrait tolérer que ça prenne quelques semaines de faire venir un produit de Chine ? Le problème, c’est que les gens ont transformé ce confort de la rapidité en nécessité. D’où les réactions épidermiques qu’on entend souvent. 

À part éteindre mon ordi le soir, je ne peux pas faire grand chose.

Il y a du vrai. Pour des appareils comme les PC, les smartphones, 80% de l’impact a lieu pendant la fabrication. Il faudrait donc que nos bonnes pratiques arrivent à toucher ces 80%, sur lesquels nos moyens d’action sont limités. On peut quand même veiller à faire durer nos équipements le plus longtemps possible, en allant à l’encontre des effets de mode et d’obsolescence. Du côté des entreprises, on peut aussi instaurer des achats responsables, en respectant les normes de qualité des approvisionnements, et appliquer les règles de recyclage.

Je crois qu’on s’y prenant de façon concertée et en acceptant collectivement de changer de valeurs, on peut créer de nouvelles activités. Mais, pour cela, il faut qu’on arrête de s’imaginer qu’il suffit de faire tout comme avant, mais en mieux.